Extraits du Portefeuille des Dames

Infanticide

TRIBUNAL CRIMINEL – Session du 15 messidor an 7
On a vu dans cette session les suites désastreuses qu'entraine un amour désordonné ; cette passion a conduit deux personnes à l'échafaud.
L'une est une veuve convaincue d'avoir homicidé son enfant naissant. Il était constaté par les opérations des gens de l'art, que l'enfant était venu au monde, vivant, et avait été étouffé ; l'expérience de l'immersion des poumons de l'enfant dans l'eau avait été un des principaux motifs de leur décision, parce que les poumons du fœtus dans le sein de sa mère sont compactes (sic), et leur pesanteur les fait aller au fond de l'eau ; quand l'enfant a respiré, les poumons sont imprégnés d'air, dilatés, présentant plus de surface, ils surnagent. Cette expérience n'est cependant pas infaillible, on a des exemples du contraire ; mais il suffit que ce soit le cours ordinaire de la nature, pour qu'on y donne une certaine croyance.

Les autres parties intérieures de l'enfant présentaient des effets d'étouffement.
Mais dans les premiers momens (sic) de l'accouchement la mère était convenue devant le juge de paix et plusieurs témoins, que l'enfant était né vivant, qu'elle l'avait étouffé, et elle rejetait la première cause de ce crime sur le père de l'enfant, qui, disait-elle, le lui avait conseillé.
L'homme convenait être le père de l'enfant, mais niait les mauvais conseils ; inculpé d'abord dans l'affaire, il avait été renvoyé, ne paraissant pas avoir pris part au crime ; et d'accusé il était devenu témoin contre celle qu'il avait débauchée.
Ainsi les hommes, presque toujours les premiers coupables, échappent à la sévérité des lois, et les femmes livrées à leurs remords, à l'ignominie, à la misère, finissent par des coups de désespoir.
L'accusée a été condamnée à 20 ans de prison et à l'exposition sur l'échafaud ; elle a échappé à la peine de mort, parce que les jurés ont décidé qu'elle n'avait pas commis ce crime de dessein prémédité.
Commentaire : On sent sous la plume du rédacteur, une certaine mauvaise conscience vis à vis de la non inculpation du père.
Portefeuille des Dames, n° 11, du 20 messidor an 7, page 2 du suppl. (AD86, PfD du 28 juin, v. 29)

Le garde ivre

TRIBUNAL CRIMINEL – Suite de la session du 15 messidor an 7 Dans l'autre affaire (la précédente étant l'infanticide), un garde de bois était accusé d'avoir tué une femme d'un coup de fusil. Cet homme demeurait dans une maison de campagne où logeait un métayer qui avait pour servante une jeune veuve d'une figure assez agréable. Le garde étant entré, déjà pris de vin, dans la chambre où était cette servante, se mit à boire, et, dans son ivresse, il tint des propos grossiers à cette femme, la retenant avec violence sur se genoux. La femme du garde accourut aux cris de la servante, et l'emmena dans sa chambre. « Cachez-vous, lui dit-elle, derrière la porte quand il viendra, et vous vous échapperez » : ce qu'elle fit. A peine était-elle aux deux tiers de l'escalier, qu'elle fut atteinte d'un coup de fusil qui la renversa. On accourut, on lui demanda qui lui avait fait ça ; elle répondit, c'est Dupuy, et mourut. Cet homme prit la fuite. Arrêté à défaut de passe-port, il fut ramené devant le juge-de-paix.
Il convenait que c'était son fusil qui avait tué cette femme ; mais voici comment il contait la chose : « Rentrant dans ma chambre, j'ai pris mon fusil pour aller dans les bois ; ivre, j'ai rencontré un balai sur le palier de l'escalier ; j'ai tombé sur les genoux, mon fusil a parti s'étant accroché dans mes boutons de veste ; la femme était alors dans l'escalier : c'est ainsi qu'elle a été atteinte. C'est un accident. Quelle apparence, disait-il, que j'aie voulu tuer une femme pour qui on prétend que j'avais une si grande passion ! »
Cela n'est pas, lui opposait-on, sans exemple ; l'amour, ou plutôt, dans le cas présent, une passion grossière, effrénée, éprouvant tant de résistance, a pu se tourner en rage et produire une explosion terrible de haine et de vengeance ; le meurtre a été volontaire, tout l'annonce. Le conte que vous faites n'est pas vraisemblable : un garde ivre, qui n'a pas dormi toute la nuit, ne va pas faire des courses dans les bois à quatre heures du matin, il se couche ; un homme n'arme pas son fusil dans sa chambre avant d'aller au bois. Si le fusil eût tombé avec l'homme sur le palier de l'escalier, le coup aurait passé sur la tête de la femme, déjà descendue les deux tiers d'un escalier à noyau. Si vous eussiez blessé cette femme par accident, vous vous seriez empressé de la secourir ; au lieu que vous avez froidement passé sur son corps pour vous enfuir.
Il était d'ailleurs attesté par plusieurs témoins que la femme de l'accusé leur avait dit qu'elle avait fait ce qu'elle avait pu pour empêcher son mari de tirer son fusil sur cette femme.
L'accusé a été condamné à vingt ans de fers. On ne lui a pas appliqué la peine de mort, parce que les jurés ont dit qu'il n'avait pas commis ce crime de dessein prémédité.
Portefeuille des Dames, n° 12, du 30 messidor an 7, page 1 du suppl. (AD86, PfD du 28 juin, v. 45)

Subornation de témoins mineurs

TRIBUNAL CRIMINEL – Suite de la session du 15 messidor an 7 Dans une troisième affaire, une femme a été condamnée à vingt ans de fers pour avoir suborné deux enfans (sic) de 11 et 15, et les avoir fait déposer des faits faux tendans (sic) à faire juger un citoyen, son beau-frère, coupable de vol.
Ces deux enfans (re-sic) ont été acquittés, les jurés ayant déclaré qu'à raison de la faiblesse de leur âge, ils avaient agi sans discernement. Où en serions-nous, si on ne punissait pas sévérement ceux qui subornent des témoins, sur-tout en affaires criminelles ?
Portefeuille des Dames, n° 12, du 30 messidor an 7, page 2 du suppl. (AD86, PfD du 28 juin, v. 46)

Ah, ça n'ira pas à la lanterne !

TRIBUNAL CRIMINEL – Séance des 14 et 15 Thermidor an 7
Du 14 : Une fille âgée de trente-cinq ans, domestique d'un ex-curé, a été déclarée par un jury spécial d'avoir, par des cris de « vire la République », par des chansons dont le refrain était « vive le roi et la religion, à bas la République », provoqué le rétablissement de la royauté et le renversement de la République, et de l'avoir fait sciemment.
La loi prononce la peine de mort contre ceux qui se rendent coupables de ces provocations ; cependant elle veut que dans le cas où le jury déclarerait qu'il y a des circonstances atténuantes, les tribunaux prononcent seulement la peine de la déportation.
Le jury ayant, dans l'affaire présente, déclaré qu'il y avait des circonstances atténuantes, le tribunal a condamné cette fille à être déportée au lieu qui serait fixé par le Directoire exécutif.
Les jurés ont sans doute regardé comme circonstance atténuante la qualité de l'accusée : une fille sans prétentions, sans intérêt au changement de gouvernement, séduite par des gens plus habiles qui ne s'entretiennent avec leurs familiers que de désirs, de projets de contre-révolution (1) ; et puis cette fille n'avait fait ces exclamations et ces chants que dans les chambres, les cour et jardin de la maison où elle demeure : mais comme c'était aussi le lieu de l'assemblée municipale, plusieurs membres de la municipalité l'avaient entendue.
Belle leçon pour les femmes qui se laissent séduire par des mal-intentionnés qui se gardent bien, eux, de se mettre en avant ! Le tribunal criminel n'a en effet eu à juger que des femmes pour des faits de ce genre.
(1) Et dénoncée par un débutant de quinze ans. A quinze ans !... On a dit, avec tant de raison, que les délateurs étaient des infâmes ; des infâmes ne devraient pas témoigner. (Note de l'éditeur)
Commentaire : Le premier paragraphe laisse supposer que les chants de la demoiselle ont permis de rétablir l'ordre ancien – Chantons donc pour changer le monde !
Portefeuille des Dames, n° 14, du 20 thermidor an 7, page 2 du suppl. (AD86, PfD du 28 juillet, v. 36)