Des ancêtres irlandais ?


À Poitiers, on connaît la rue des Écossais tirant son nom de la colonie écossaise qui s'est formée autour de Robert Irland, professeur de droit de l'Université de Poitiers et originaire d'Écosse et non d'Irlande comme son nom peut le faire croire. On se souvient aussi des Blacvod (Blackwood), une famille de gentilshommes du même pays établis en Poitou au 16e siècle dont on peut voir la plaque commémorative dans l'église St-Porchaire. Mais, on oublie souvent les Irlandais qui pourtant ont été beaucoup plus nombreux en Poitou au cours des 17e et 18e siècles.
En effet, les persécutions religieuses sont à l'origine d'une importante émigration d'Irlandais dans l'ouest de la France. La première vague de départs a lieu quand Cromwell impose brutalement la réforme anglicane à l'Irlande catholique en déportant et massacrant la population. Cette terrible répression pousse à l'exil des prêtres et des séminaristes irlandais mais aussi des nobles, des soldats et de simples marchands qui trouvent refuge dans notre pays. La deuxième vague d'émigration, plus importante encore, a lieu après la défaite du roi catholique Jacques II en 1689 et provoque l'exode de milliers d'Irlandais dont beaucoup de soldats qui vont constituer l'important régiment irlandais au service du roi de France.

 


Il y a donc trois grandes catégories d'immigrés irlandais : les curés, les soldats et les nobles. Le généalogiste poitevin a donc quelques chances de se découvrir un ancêtre « hibernois » comme on les appelait autrefois, car certains de ces étrangers ont fait souche dans notre région en épousant des Poitevines.

 

irlandais

Les curés et les professeurs
Le Collège irlandais de Poitiers fondé en 1674 attire des prêtres et des professeurs d'Irlande dont certains obtiennent des cures comme Thomas Cochrane prêtre curé pendant plus de 20 ans de Chalandray où il meurt en 1722, les frères Macarty à Parthenay et Verruyes, Jean Ige prêtre irlandais enterré à Poitiers en 1713, Martin Hynes, Gautier Nugent, Jacques Warren tous prêtres et vicaires du côté de St-Mesmin, Montravers, la Chapelle St-Laurent... Le plus illustre d'entre eux étant sans doute le Vénérable messire Thomas Gould abbé commendataire de l'abbaye de Cork, trésorier de l'église du chapitre Notre-Dame du Château (de Thouars) et missionnaire entretenu par sa Majesté pour l'instruction des nouveaux convertis qui décède à Thouars en 1704. Mais la présence d'ecclésiastiques irlandais est attestée beaucoup plus tôt dans le siècle. Par exemple, un certain Cornelius O'Connor dessert la paroisse d'Augé près de St-Maixent en 1641.
Parmi le personnel du collège jésuite irlandais, on trouve aussi des laïcs comme les frères Edouard et Richard Dempsy, tous deux « professeurs des humanités » à Poitiers et Niort et mariés à des Poitevines en 1716 et 1721. Citons aussi Bernard Maconvelle, « hibernois » principal du collège de Thouars en 1668, qui confirme la vocation éducative des Irlandais.

Les soldats
L'Irlande a également fourni des mercenaires à toute l'Europe catholique. Certaines de ces « Oies sauvages » comme on les appelait sont passés par le Poitou ou y ont terminé leur vie : un sergent anonyme de la compagnie irlandaise à Archigny en 1667, Germain Darses à Parthenay en 1694, etc. L'Hôtel-Dieu de Poitiers a accueilli certains de ces soldats d'Hibernie et enterré les morts au cimetière des Pauvres. C'est le cas de George Hoatre et de Jacques Mead en 1692, de Guillaume Gyrarde en 1693, de Jacques Magrath garçon de la paroisse St-Patrick de Dublin en 1701, de Mortagh Mahony en 1702, du cavalier Richard Welsh en 1732, etc. D'autres Irlandais meurent à l'Hôtel-Dieu sans qu'on sache leur métier comme Philippe Hanelle en 1710 qui semble s'être fixé à Poitiers et Thomas Buttler inhumé dans l'église des Pères Jacobins en 1698, sans doute officier ou homme d'église. On trouve même dans les registres de l'Hôtel-Dieu les sépultures d'un vieillard « hibernois » de 84 ans en 1708 et d'une femme irlandaise de 35 ans, Marie Thérèse Onel (O'Neil), morte à Poitiers la même année. Quelques rares documents nous apprennent que ces hommes de guerre voyageaient parfois en famille : la sépulture de la fille d'un soldat irlandais à Champdeniers, celle de la petite Jeanne fille de Denis Hert du régiment irlandais de la Reine originaire de la ville de Belhinden en Irlande et de Marguerite Lou sa femme à Parthenay en 1692, ou encore l'enterrement de Marguerite Chambre, femme d'un cavalier irlandais, qui a lieu à Charroux en 1731. Dans la plupart des cas, il est difficile de suivre la carrière des soldats irlandais sauf s'ils sont pensionnaires des Invalides.

Les nobles
Une grande partie de la noblesse irlandaise suit Jacques II dans son exil français comme la famille Mac Mahon qui a donné un président de la République. Certains aristocrates irlandais séjournent à la Cour jacobite de St-Germain-en-Laye, d'autres rejoignent les communautés de Nantes ou Bordeaux, quelques-uns s'établissent en Poitou. C'est le cas de François Dejoye gentilhomme irlandais qui a un fils à Niort en 1697, du sieur Bernard O'Kane de Banagkoo marié à une demoiselle de Poitiers en 1701, de Marie Morris du Comté de Tiperary qui passe un contrat de mariage avec un écuyer dans la même ville en 1707, de l'écuyer Thimothée-Sylvestre O'Sullivan d'Oxford en Irlande en 1727 et des filles du baron de Keating établi à Loudun qui se marient à Poitiers en 1777 et 1779. Quant à Henry de Burton écuyer irlandais, il épouse en 1727 à Assais près d'Airvault sa compatriote Catherine de Macarty de Machasine dont la famille s'était réfugiée à Paris.

« Hibernois de nation »
Enfin, quelques immigrés irlandais qui ne semblent pas appartenir aux catégories précédentes arrivent en Poitou à différentes époques : le marchand Antoine Finicarre qui se marie à St-Maixent en 1618, Noël Canon qui baptise une fille dans la même ville en 1702, mais aussi Anthony Sougny du diocèse de Cork en Hibernie et sa femme Marguerite Condon vivant à Nueil les Aubiers en 1652, tandis que François Comolly « chassé de son pays d'Hibernie » décède à St-Hilaire de Voust la même année. Heureusement, le curé de St-Médard de Thouars nous donne plus d'informations sur un marié de 1668 : un certain Morice D'Erby dit l'Espérance aagé d'environ quarante ans, Hibernois de nation du diocèse de Kelqueny (Kilkenny), paroisse de St-Michel, fils de Daniel D'Erby et de Marguerite Verguet, sorti de son pais depuis dix-sept ans pour la foy catholique apostolique et romaine demeurant depuis onze ans en cette ville paroisse de céans et de présent serviteur domestique en l'hostelerie du Sauvage... Cet Irlandais a aujourd'hui encore des descendants. La racine irlandaise du Poitou est modeste mais bien réelle.

Sources :
Archives départementales de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Vendée
Ge86 -Entraide généalogique dans la Vienne
Cercle généalogique des Deux-Sèvres
Diego Tellez Alarcia, L'exil jacobite irlandais et l'Ouest de la France (1691-1716)
Sébastien Jahan, Les exilés irlandais en Poitou aux XVIIe et XVIIIe siècles
Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou